Levée de boucliers contre l’ambassadeur des Etats-Unis
La classe politique camerounaise, l’écrivaine Calixthe Beyala, Jean Jacques Ekindi, Me Tchoungang et de nombreux Camerounais s’insurgent contre « celui qui a osé conseiller » à Paul Biya de quitter le pouvoir.
Julienne Ngobo
Le ton a été donné le vendredi 18 mai 2018 par le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement. Sur les ondes de Radio France Internationale (RFI), Issa Tchiroma Bakary s’est voulu clair : Le Cameroun est un Etat « Souverain qui n’est pas disposé à accepter quelque diktat que ce soit de la part de telle ou telle puissance ». Ces propos sont adressés à Peter Henry Barlerin, l’Ambassadeur des États Unis au Cameroun pour avoir dévoilé à la presse, les véritables raisons de l’audience que lui a accordé Paul Biya le jeudi 17 mai 2018. « J’ai suggéré au président qu’il devrait penser à son héritage et la façon dont il veut se souvenir dans les livres d’histoire pour être lus par les générations à venir, et a proposé que Georges Washington et Nelson Mandela soient pour lui d’excellents modèles », a déclaré devant la presse, le diplomate américain à la sortie du palais de l’Unité. Suffisant donc pour irriter les Camerounais et pas des moindres. Au rang de ceux-ci, Calixte Beyala.
Dans une interview diffusée au journal de 13h de la Crtv le samedi 19 mai 2018, l’écrivaine engagée juge déplacés les propos du diplomate américain. « Les Etats-Unis, c’est un pays qui a connu une très longue guerre de sécession et ce pays a utilisé tous les moyens pour pouvoir garder son unité nationale. Ce pays ne peut pas dire au Cameroun de nous diviser en micro-Etats, ce pays ne peut pas féliciter les sécessionnistes, ce pays ne peut pas protéger les sécessionnistes puisque ce pays connaît la souffrance que peut reprouver un peuple. Par rapport aux élections camerounaises mais ça ne regarde que les Camerounais. S’ils veulent porter à leur tête Paul Biya, c’est leur choix. On n’a pas à nous dire qu’ils ne doivent pas le faire. Les Camerounais le feront s’ils veulent, ils ne le feront pas s’ils ne le veulent pas », a répliqué le Grand prix du roman de l’Académie française.
Ingérence
Me Charles Tchoungang, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Cameroun, lui, redoute une ingérence qui dure et engendre des conséquences néfastes pour le pays. Il soutient que les Etats-Unis doivent laisser les Camerounais résoudre eux-mêmes leurs différends. « Moi je dis qu’il faut faire attention. Quand ça commence comme ça, on ne sait pas où ça va se terminer. J’ai lu dans les journaux qu’ils nous ont offerts deux avions il y a quelques jours. C’est bien, on les remercie. Mais qu’ils nous laissent régler nos propres problèmes. Je pense que nous avons la capacité et les ressources humaines nécessaires, utiles pour trouver une solution à cette question. Je considère que ce sont des ingérences inacceptables dans un Etat », argue l’ancien bâtonnier.
Jean-Jacques Ekindi, ancien ponte du régime Biya, devenu opposant aux débuts des années 90, n’y est pas aussi allé de main morte dans sa réaction contre les déclarations de Peter Henry Barlerin. « Je crois qu’il y a quelque chose de choquant et qui met les patriotes comme moi en colère. Parce que le sentiment que l’on retient est que l’Ambassadeur des Etats-Unis veut s’immiscer dans les affaires intérieures du Cameroun. Les affaires intérieures restent intérieures. C’est pour ça que nous avons assimilé cette intrusion quelque peu bizarre à une tentative de d’immixtion dans les affaires intérieures du Cameroun », estime le Coordonnateur général du Mouvement progressiste, parti politique d’opposition. Même son de cloche chez le président de l’Union pour la fraternité et la prospérité (UFP). « Il y a certainement des initiatives plus sérieuses qui peuvent être entreprises par la Maison Blanche », fait savoir Olivier Bilé. Pour le Mincom, « Paul Biya entrera dans l’histoire par la grande porte parce qu’il est conscient de sa responsabilité. Il ne s’écoule pas une seconde sans qu’il ne pense à l’avenir ».